Gaston Tissandier a raconté lui-même l'histoire
de ce vol record dans un livre publié en 1878 : "Histoire
de mes ascensions - Récit de vingt quatre voyages aériens
- 1868 - 1877". Il y consacre le vingtième chapitre,
illustré des dessins de son frère, Albert.
Les illustrations que j'ai choisies pour cette page sont
d'Albert Tissandier, même si ce ne sont pas celles du
livre de Gaston: la Bibliothèque
nationale de France, où j'ai trouvé ce livre,
a choisi de privilégier le texte par rapport à
l'image et les scans d'illustrations sont de qualité
tout à fait insuffisante, les illustrations proviennent
du fonds
Tissandier de la Bibliothèque du congrès
américain.
Si la science commence à entrevoir les lois qui président
aux mouvements de l'Océan, c'est que des navigateurs
ont sillonné la surface de ses eaux, dans leur étendue
tout entière ; c'est que des observateurs ont jeté
la sonde dans leurs abîmes, ont mesuré leur température
à différentes profondeurs.
Si nous voulons connaître l'atmosphère qui
enveloppe notre globe, qui règle le cours des saisons,
qui entretient la vie, il faut procéder de la même
façon; il faut la parcourir sur de vastes étendues,
la sonder de bas en haut, depuis la surface de la terre jusqu'à
ses plus hautes régions. De là, la nécessité
de deux modes d'exploration par les aérostats : ascensions
de longue durée, ascensions à grande hauteur.
C'est ce qui a été compris et proposé
dans le courant de l'année 1874 par un groupe de savants
éminents.
Depuis le siège de Paris, les aérostats, autrefois
délaissés, ont particulièrement attiré
les regards. Une société savante, la Société
française de navigation aérienne, a été
fondée. Présidée en 1874, par un des
plus illustres membres de l'Institut, M. Janssen, qui, par
ses grands travaux et sa mâle énergie, s'est
assuré déjà la reconnaissance de la postérité
; présidée en 1875 par un autre membre de l'Académie
des sciences, M. Hervé-Mangon, dont le rare dévouement
à la science est connu de tous, dont le rôle
si actif dans l'organisation de la poste aérienne,
pendant la guerre, ne sera pas oublié, la Société
de navigation aérienne a vite attiré dans son
sein la plupart de ceux qui se préoccupent de l'aéronautique
et de l'étude de l'atmosphère.
En 1874, c'est sous ses auspices que Crocé-Spinelli
et Sivel ont exécuté ce magnifique voyage en
hauteur, dont tout le monde connaît les beaux résultats.
Sans répéter ici ce que nous avons dit dans
la première partie de cet ouvrage, nous rappellerons
que grâce aux remarquables travaux physiologiques de
M. Paul Bert, et à l'inhalation de l'oxygène,
les intrépides et savants voyageurs ont pu atteindre
l'altitude de 7,300 mètres, et rapporter de leur expédition
le fruit d'observations nombreuses et fécondes.
En 1875, la Société de navigation aérienne
a étudié un nouveau programme d'ascensions scientifiques
: il a été décidé que deux voyages
seraient successivement exécutés à l'aide
du ballon le Zénith cubant 3.000 mètres, et
construit par Sivel : l'une de longue durée, l'autre
de grande hauteur.
Grâce au concours de l'Académie des sciences,
de l'Association scientifique de France, de l'Association
française pour l'avancement des sciences, grâce
à l'appui de MM. Dumas, Hervé-Mangon, Henri
Giffard, docteur Paul Bert, Dupuy de Lôme, de MM. Hureau
de Villeneuve, secrétaire général de
la Société, d'Eichthal, docteur Marey, Houel,
Lavalley, F.-R. Duval, Dailly, Chabrier, etc., les conditions
nécessaires à l'exécution de l'entreprise
ont été rapidement assurées.
Le premier voyage du ballon le Zénith a répondu
aux espérances de la Société de navigation
aérienne; il a eu lieu pendant 22 h. 40 m., dépassant
ainsi de beaucoup, la durée des plus longues ascensions
accomplies jusqu'à ce jour; il a permis aux membres
de l'expédition d'entreprendre, sans interruption,
une série d'observations, et d'exécuter de nombreuses
expériences.
Le départ a eu lieu le 23 mars, à l'usine
à gaz de La Villette, où la Compagnie parisienne
a fourni le gaz de l'éclairage nécessaire au
gonflement. A 6 h. 20 m. du soir, le ballon s'élève
majestueusement dans l'espace, emportant dans sa nacelle les
aéronautes désignés par la Société
de navigation aérienne: Sivel, Crocé-Spinelli,
Albert Tissandier, Jobert et moi,
1,100 kilogrammes de lest formé de sable fin, des instruments
et des appareils de physique et de chimie.
Nous nous élevons dans l'atmosphère, traversant
Paris, où des milliers de lumières scintillent
comme les constellations d'un ciel étoilé, nous
passons lentement au-dessus du jardin des Tuileries, au-dessus
du dôme des Invalides, et bientôt le spectacle
de la grande métropole disparaît à l'horizon,
pour céder la place au tableau non moins majestueux
de la campagne. Le soleil jette ses derniers feux sur les
brumes lointaines, amassées en grandes nappes de vapeurs,
l'obscurité se fait, et nos lampes de Davy nous éclairent
seules au milieu de la nuit. Après avoir mis en ordre
la nacelle, rangé méthodiquement les sacs de
lest, nous commençons à procéder à
nos expériences.
Sivel, à qui nous avons dû, par son énergie,
par son amour de la science, par son infatigable persévérance,
le succès de l'ascension, s'occupe de déterminer
la direction de notre route, au moyen de la boussole et d'une
cordelette longue de 800 mètres, qui, traînant
à terre, se dirige toujours à l'arrière
de la nacelle. Crocé-Spinelli commence ses observations
spectroscopiques, à l'aide de deux beaux appareils
de modèle différent, qu'il devait à M.
Duboscq. Jobert lance par-dessus bord les imprimés,
destinés à être recueillis à terre
par les habitants, et à être renvoyés
par eux à Paris, avec les indications de la pression
barométrique,de la température, de l'état
du ciel, sur tous les points au-dessus desquels a passé
le Zénith. Albert Tissandier dessine, d'après
nature, les paysages aériens, il reproduit notamment
le curieux spectacle de la déformation de la lune qui
vient de paraître au-dessus des nuages dont la surface
supérieure est unie comme celle d'un lac. Quant à
moi, je fais passer successivement 100 litres d'air, à
l'aide d'un aspirateur à retournement, dans des tubes
à pierre ponce imbibée de potasse, où
l'acide carbonique absorbé, sera dégagé
plus tard dans le laboratoire et dosé à l'état
gazeux, par une nouvelle méthode que nous avons étudiée,
M. Hervé-Mangon et moi.
Il faut, en outre, noter constamment la pression barométrique,
dont une lampe des mines éclaire le cadran, inscrire
la température
qui, pendant la durée de la nuit, atteint le minimum
de 4 degrés et demi au-dessous de zéro, prendre
les degrés des deux thermomètres à boule
sèche et à boule mouillée du psychromètre
dont l'eau malheureusement ne va pas tarder à geler,
mais que l'hygromètre à point de rosée,
de Regnault, remplacera avec avantage; il faut descendre de
la nacelle un long fil de cuivre de 200 mètres, et
y approcher fréquemment un électroscope à
feuille d'or, pour relever l'état électrique
de l'air; il faut enfin considérer ce spectacle infini
du ciel resplendissant, où l'étoile filante
trace parfois sa courbe lumineuse, de la terre que les rayons
argentés de la lune éclairent d'une pâle
lueur, et qui, par une illusion de la vision, se creuse sous
la nacelle, en prenant l'apparence d'une immense lentille
concave. Que de fois ne nous a-t-on pas dit, au retour de
notre voyage, que la nuit devait être longue et le froid
mordant! Jamais, au contraire, le temps ne s'est écoulé
plus vite pour chacun de nous ; jamais les heures n'ont été
mieux remplies. Le ballon, grâce à l'habileté
de Sivel, se maintient sur une ligne horizontale, de 700 mètres
à 1,100 mètres d'altitude, et déjà
nous sommes persuadés que notre séjour dans
l'atmosphère sera prolongé.
Au moyen d'un appareil imaginé par
un des membres les plus actifs de la Société
de navigation aérienne, M. A. Penaud, et que Crocé-Spinelli
et Jobert font fonctionner, nous pouvons constamment déterminer
du haut des airs, la vitesse de notre marche. Cet instrument
est formé d'un limbe gradué au centre duquel
se meut une alidade mobile autour d'un axe. Un observateur
vise, sous un angle de 30 degrés, un objet visible
sur terre, dans le sens de la marche du ballon; quand cet
objet a passé sur la ligne de l'alidade, il remonte
celle-ci à 60°, puis il attend que le même
objet ait été exactement relevé une seconde
fois. Un autre observateur a noté le temps écoulé
entre les deux lectures ; à l'aide des deux angles,
et connaissant en outre l'altitude, une simple formule trigonométrique
permet de déduire la vitesse de l'aérostat.
Celte expérience, exécutée à plusieurs
reprises, a donné des chiffres très précis,
comme on a pu le vérifier après l'expédition.
Nous parlerons tout à l'heure des résultats
généraux de notre ascension ; continuons actuellement
notre voyage qui s'exécute toujours par un vent N.-N.-E.,
dans la direction de la Rochelle et de l'Océan.
A 4 h. 30 du malin, un spectacle grandiose va se présenter
à nos yeux. La lune qui n'a pas cessé de briller
dans l'azur du ciel, s'entoure d'un halo resplendissant, d'un
cercle de feu, dû à la réfraction de la
lumière à travers les paillettes de glace suspendues
dans l'atmosphère ; ce cercle est blanc comme de l'argent,
il se découpe sur un fond obscur, et grandit à
vue d'oeil, en prenant bientôt l'aspect d'une ellipse.
Peu à peu, une croix de lumière étend
ses quatre branches autour de la lune et complète ce
tableau étrange, plein de majesté, qu'ont admiré
parfois les explorateurs des régions polaires.
L'atmosphère offrait à ce moment un aspect
particulier; au-dessus de la terre une buée semi-transparente
d'environ 500 mètres d'épaisseur avait diminué
d'opacité au moment du lever de la lune, ce qui avait
déterminé une ascension de l'aérostat.
Elle allait se dissiper complètement deux heures après
le lever du soleil. Quelques cirrus suspendus dans les hautes
régions de l'air étaient très visibles
pendant la durée du halo et restèrent dans l'atmosphère,
avec plus de persistance que la buée inférieure
jusqu'à 1l h. 1/2. En s'abaissant à l'horizon,
ces cirrus prirent l'aspect d'une longue chaîne montagneuse
couverte de pics glacés. Pendant quelques minutes même,
l'illusion fut si complète, que nous crûmes voir
apparaître au loin le massif pyrénéen.
Ajoutons enfin que d'autres cirrus très élèves
se montrèrent encore dans le ciel vers trois heures
de l'après-midi.
Le halo et la croix lumineuse, qui ont graduellement apparu,
disparaissent de même, lentement et progressivement;
la lueur se dissipe avec l'apparition du soleil, qui se montre
bientôt au-dessus des nuées lointaines. La terre
s'éclaire, et l'Océan ouvre au loin l'immensité
de ses eaux. Nous sommes, en effet, en vue de la Rochelle,
et à ce moment Sivel observe avec attention la direction
du Zénith. Par bonheur le vent s'est relevé
vers le nord et lance l'aérostat vers le sud. Nous
allons pouvoir côtoyer la mer pendant de longues heures,
nous en rapprocher et ne jamais la perdre de vue.
Aussitôt que le soleil a dépassé la ligne
de l'horizon, l'atmosphère toujours sèche à
la hauteur de 1,850 mètres où nous planons,
se charge subitement d'électricité. Les feuilles
d'or de l'électroscope approché de notre fil
de cuivre se dévient en effet do Om,06. La quantité
d'électricité décroît successivement,
pour devenir très faible, jusqu'au moment où
nous passerons au-dessus de la Gironde, qui réfléchit
les rayons solaires avec intensité, et produit une
élévation de température considérable.
Cette traversée du grand fleuve, exécutée
à 10 heures du matin, en vue de la Tour de Cordouan,
est certainement un des moments les plus émouvants
de notre voyage. Le Zénith s'engage sur la Gironde
à l'endroit de sa plus grande largeur, il y passe majestueusement
et n'atteint l'autre rivage que 35 minutes après. Pendant
que nous planons au milieu du fleuve, des bateaux à
voile en sillonnent la surface ; deux navires à vapeur
en descendent le cours; ils passent juste au-dessous de notre
nacelle, et à ce moment ils font hisser trois fois
leurs pavillons tricolores. Nous répondons à
ce salut sympathique en agitant nos mouchoirs. Ce fleuve vu
en plan, ces navires lilliputiens, ce phare de Cordouan, réduit
à la proportion d'une épingle brillant sur un
fond brumeux, cettee onde jaunâtre que rident les vagues,
se colorent par les tons chauds d'un beau soleil et forment
un de ces tableaux délicieux, qui laissent dans l'esprit
les impressions les plus durables.
Pendant cette partie du voyage, nous avons opéré
le lancement successif des quatre pigeons voyageurs que nous
avait confiés M. Cassier, un des colombophiles du siège
de Paris. Le premier pigeon a quitté la nacelle à
9 heures du matin, les trois autres ont été
lâchés avant et après la traversée
de la Gironde. Le dernier pigeon ne s'est pas élancé
immédiatement dans l'espace ; il est resté juché
sur le bord de la nacelle, en proie à une hésitation
très apparente. Les quatre oiseaux messagers se sont
rapprochés de terre en décrivant de grands circuits
dans l'atmosphère, mais aucun d'eux n'est revenu au
colombier. Il est à présumer qu'ils auront été
désorientés par l'influence d'une longue nuit
passée dans les airs, et qu'en outre, la distance qui
les séparait de Paris, était déjà
trop considérable pour qu'ils aient pu retrouver leur
chemin.
Après avoir traversé la Gironde, le vent qui
nous entraîne, nous dirige vers l'étang de
Carcans, que nous apercevons bientôt, et vers l'Océan,
qui n'en est séparé que par une mince langue
de terre. Heureusement que quelques feux, allumés à
la surface du sol, au milieu des plaines marécageuses
qui ouvrent les Landes, laissent échapper une fumée
épaisse qui se dirige dans la direction du S.-E. Cette
observation nous indique nettement qu'il règne à
la surface du sol un courant aérien du N.-O., dont
nous pourrons profiter pour nous éloigner de la mer.
Cependant le soleil est devenu très ardent : le Zénith
se gonfle avec rapidité, le gaz se dilate et s'échappe
par l'appendice en descendant à flot jusque dans la
nacelle.
Nous montons rapidement jusqu'à l'altitude de 1,200
mètres, niveau qu'il y aurait imprudence de dépasser
dans un si proche voisinage de la mer. Sivel donne un coup
de soupape, et l'aérostat cesse bientôt de s'élever;
mais l'action du soleil produit une dilatation du gaz si considérable
que le Zénith, à peine descendu de 200 mètres,
remonte encore, et c'est par cinq ou six fois qu'il faut ouvrir
la soupape béante, pour le faire revevenir à
6O mètres au-dessus de la terre, où il est entraîné
par le courant inférieur.
Ce courant inférieur était très humide,
tandis que le courant supérieur était d'une
sécheresse presque absolue, comme nous l'avons constaté,
Crocé-Spinelli et moi, à l'aide de l'hygromètre
à point de rosée et du spectroscope.
Le passage de l'aérostat de la couche d'air supérieure
à l'autre courant fut signalé par des mouvements
de rotation renouvelés et énergiques. On ressent
une impression particulière quand on se trouve à
la limite de séparation de deux vents ainsi superposés
; l'air est agile, le ballon frissonne et tourbillonne, son
étoffe tremble, tandis qu'il est parfaitement immobile
quand il est bien équilibré dans l'atmosphère.
Il y a là, entre les deux courants, des remous, des
vagues aériennes que l'on ne voit pas, mais dont l'aérostat
subit l'influence; il y a des mouvements analogues à
ceux qui existeraient à la surface inférieure
d'une couche d'huile glissant sur une nappe d'eau, douée
elle-même d'un mouvement rapide. Le courant inférieur
va peu à peu diminuer d'épaisseur jusqu'à
la fin du jour, où il n'aura plus qu'une hauteur de
130 mètres environ, mais en même temps il gagnera
de vitesse. Le courant supérieur, au contraire, va
régner uniformément ; c'est toujours le N.-N.-E.,
bien établi dans l'atmosphère, c'est le courant
dominant, général, que les observateurs terrestres
ne voient pas cependant, plongés qu'ils sont dans le
courant N.-O. inférieur, vent superficiel et probablement
tout accidentel.
Pendant six heures consécutives, le Zénith
a trouvé de précieuses ressources dans l'emploi
de ces deux courants superposés; huit fois successivement,
il est monté dans le courant supérieur, qui
le dirigeait vers la mer, pour redescendre alternativement
un même nombre de fois dans le courant inférieur,
qui le rejetait sur la terre ferme. La route dans la verticale
est singulièrement tortueuse, comme l'indique le diagramme
de l'ascension ; sa marche en projection horizontale forme
une série de zigzags, qui le rapprochent peu à
peu d'Arcachon, près du bassin duquel il arrive à
la fin du jour, après avoir tiré des bordées
comme un navire à voile.
Après ce long voyage au-dessus des maigres sapins des
Landes, que découpent des flaques d'eau abondantes,
après un séjour de six heures dans un air brûlant
où le soleil nous lance des rayons ardents, le Zénith
touche terre à Montplaisir, commune de Lanton (Gironde),
dans le voisinage d'Arcachon. La brise est forte et la nacelle
est emportée avec rapidité: mais l'ancre jetée
par Sivel mord immédiatement, sans secousse, grâce
à un système d'arrêt très ingénieux,
formé de frotteurs qui font glisser l'ancre avec des
résistances toujours croissantes, le long du câble
où elle est attachée à l'aide d'une boucle.
Nous nous pendons à la corde de la soupape et le Zénith
est bientôt maîtrisé.
Nous avons déjà mis pied à terre, lorsque
quelques bergers des Landes accourent montés sur des
échasses, en faisant entendre des cris de joie et d'étonnement:
ils nous prêtent de très bonne grâce l'utile
concours de leurs bras vigoureux.
Une ascension de longue durée, comme celle que nous
venons de raconter, exactement retracée à l'aide
d'un diagramme, dont les éléments ont été
recueillis sans interruption, ne manque pas de fournir des
faits généraux offrant un intérêt
réel au point de vue de la physique du globe. Grâce
aux imprimés lancés de la nacelle, et retournés
à Paris au nombre de soixante, de tous les points de
notre route, notre diagramme indique les températures
du sol en même temps que les températures de
l'air supérieur. On voit que la température
de l'air était plus élevée dans tout
le parcours que la température du sol. Le diagramme
montre encore que le ballon, quand il était maintenu
sur l'horizontale, suivait les proéminences du sol
et s'élevait de lui-même, poussé par un
vent ascendant quand il passait au-dessus d'une colline. Ce
fait est surtout rendu manifeste par le passage du ballon
à 600 mètres au-dessus d'un monticule situé
dans la Touraine, et dominant de 268 mètres le niveau
de la mer. Le tracé graphique, de l'ascension met en
évidence la ligne courbe suivie par un courant aérien,
pendant un long parcours; le ballon s'est, en effet, fréquemment
éloigné d'une direction en ligne directe; ce
tracé montre enfin les variations très appréciables
de la vitesse du vent, qui fait environ 5 mètres à
la seconde pendant la nuit, 10 mètres au lever du jour,
et qui diminue de vitesse dans les hautes régions,
contrairement à ce qui a lieu le plus habituellement.
La vitesse du courant N.-N.-E. dans les landes de la Gironde
ne dépassait pas la vitesse de 3 mètres à
la seconde, tandis que le vent inférieur, dont la vitesse
s'est accrue jusqu'au moment de l'atterrissage, était
d'abord de 7 mètres à la seconde, pour atteindre
ensuite près de 12 mètres. (Les chiffres de
l'échelle des hauteurs indiquent, sur le diagramme,
les mètres; ceux de la ligne horizontale de terre donnent
les kilomètres).
Nous ne nous engagerons pas plus longuement dans le résumé
de ces observations multiples; il faudrait entrer dans des
détails trop minutieux pour parler des effets de nuages,
des déformations du soleil et de la lune par la réfraction,
phénomènes dont Albert Tissandier a retracé
la succession par le dessin, indispensable complément
des études météorologiques. Mais nous
devons ajouter quelques mots sur les observations spectroscopiques
de Crocé-Spinelli. Quand le soleil et la lune ont été
au-dessous de l'horizon, les spectroscopes ont montré
des bandes de vapeur d'eau extrêmement accusées.
Aussitôt que ces deux astres se sont élevés
de quelques degrés seulement sur l'horizon, les bandes
sont devenues infiniment plus faibles et ont fini même
par être très peu visibles, ce qui démontrait
que la quantité de vapeur d'eau dans les régions
supérieures de l'air était très faible.
Une telle sécheresse est un fait qui mérite
d'être signalé. Le psychromètre, avant
que l'eau qu'il contenait ne fût gelée, l'hygromètre
de Regnault ont, comme nous l'avons vu précédemment,
vérifié ces observations.
Nous aurions encore à parler des sondes aériennes
imaginées par Sivel, d'un appareil destiné à
mesurer l'ombre du ballon que nous avons vu se dessiner sur
le sol, sur les rivières, d'un remarquable thermomètre
enregistreur de M. Negretti, destiné à prendre
des températures a quelques centaines de métros
au-dessous de la nacelle, d'un nouvel anémomètre
de Crocé-Spinelli et Redier; mais, nous ne voulons
pas étendre outre mesure ce chapitre déjà
long.
Nous terminons ici le résumé d'une ascension
où, pendant 22 heures 40 minutes, il n'a jamais manqué
ni d'expériences à exécuter, ni d'observations
à entreprendre; car dans l'atmosphère, si peu
connue, tout est à considérer, tout est à
apprendre.
Nous espérons, disions-nous au retour de notre voyage,
que la Société française de navigation
aérienne ne s'en tiendra pas à ces premières
tentatives; elle saura prouver dans l'avenir qu'elle était
digne de prendre pour devise cette belle parole : "Toujours
plus loin et toujours plus haut!"
Nous terminons ce chapitre en publiant les deux tableaux
ci-dessous des observations faites pendant le voyage.